“Comment les blockchains rendent presque glamour les bases de données”

Thibaut Sahaghian
6 min readJul 1, 2016

Blockchain et Bitcoin, utilisés au singulier comme au pluriel, ces nouveaux bébés numériques enflamment la toile et sont souvent utilisés indifféremment. Besoin d‘y voir plus clair?

Le terme “blockchain” nourrit beaucoup de fantasmes mais reste parfois vague.

La Blockchain n’est qu’un nouveau type de base de données

Dans mon précédent article, j’expliquais que les échanges de bitcoins reposaient sur une base de données (ou un livre de compte) servant à répertorier des transactions, et fonctionnant sans tiers de confiance. Blockchain, c’est tout simplement le nom donné à ce type de base de données. Elle aurait donc pu s’appeler “nouvelle-base-de-données-ultra-géniale”, mais le nom sonnait nettement moins bien.

Cette base de données est particulièrement innovante en ce qu’elle est:

  • Fiable, car les informations ajoutées à la base de données sont vérifiées et validées par le programme informatique
  • Transparente, car le registre est accessible par tous
  • Sécurisée, car elle repose sur un protocole cryptographique protégeant l’intégrité des données
  • Distribuée, car chaque ordinateur connecté au réseau possède une copie qui lui est propre, automatiquement mise à jour

Bitcoin est donc la première application à reposer sur ce nouveau type de base de données, dont les informations compilées sont des transactions en bitcoins. Plus précisément, c’est en voulant créer Bitcoin que l’on a mis au point cette nouvelle manière de compiler des données.

Décryptage d’un nom glamour: blockchain ou chaîne de blocs

Jusqu’ici, tout va bien: Bitcoin est un programme informatique qui existe grâce à un type de base données innovant, ou blockchain. Ce terme sexy décrit prosaïquement le processus d’enregistrement des informations sur la base de données.

Reprenons l’exemple d’une transaction en bitcoins, qui comporte deux grandes étapes: la validation de la transaction, et la confirmation de son enregistrement sur la “nouvelle-base-de-données-ultra-géniale” qu’on appelle blockchain.

La validation de la transaction est un processus relativement simple: les ordinateurs connectés au réseau vérifient que le payeur est effectivement propriétaire des bitcoins qu’il envoie, et que le destinataire peut les recevoir. Une fois validée, la transaction doit être enregistrée sur la blockchain, pour devenir la nouvelle référence.

Cet enregistrement a lieu grâce à une opération appelée “minage”, qui est la confirmation de la transaction. Concrètement, des individus (via leur ordinateur) doivent résoudre des énigmes mathématiques pour gagner le droit d’enregistrer eux-même la transaction sur la blockchain, de manière définitive. Ils en retirent quelques bitcoins en échange.

Le minage de bitcoins ne nécessite qu’un ordinateur. Adieu les pioches et les coups de grisou!

Chaque nouvelle transaction validée est regroupée avec d’autres transactions, en attente d’être enregistrées sur la base de données. Une fois un nombre suffisant atteint, elles sont ajoutées à la base de données sous la forme d’un bloc.

Chaque bloc est donc constitué d’un résumé (“hash”) de l’ensemble des bloc précédents, plus les nouvelles informations ajoutées. Ainsi, tous les blocs sont reliés entre eux pour former une chaîne continue depuis le premier bloc créé en 2009 (le “Genesis Block”): c’est une chaîne de blocs, ou blockchain.

Chaque nouveau bloc de transactions contient un résumé des blocs précédents.

Des milliers de blockchains existent

Bitcoin est l’application qui a permis de tester la technologie blockchain. Or, ce protocole est conçu depuis son origine comme une expérimentation ouverte, modifiable à loisir. Chaque type de blockchain, et il y en a beaucoup, vise donc à répondre aux limites de Bitcoin, ou à des problématiques très spécifiques.

Grosso modo, il est possible de distinguer deux types de blockchains: les publiques, et les privées.

Les blockchains publiques sont les héritières directes de Bitcoin: tout individu peut rejoindre le réseau via son ordinateur. Le fonctionnement de base est proche de Bitcoin, mais chacune d’entre-elle cherche à résoudre une limite clairement identifiée, et permettre de nouvelles applications.

La plus connue de ces blockchains alternatives est Ethereum. Elle fonctionne avec sa propre monnaie, l’ether, et offre la possibilité d’ajouter un programme informatique complexe dans les données enregistrées sur la blockchain. En d’autres termes, là où Bitcoin permet seulement de dire “A envoie 1 bitcoin à B”, Ethereum permet de rajouter des conditions: “A envoie 1 ether à B si B est gentil et lui texte un smiley”. Les possibilités sont excitantes, car elles permettraient d’automatiser de nombreux services, avec de multiples conditions.

Etrange nom que celui de cette crypto-monnaie!

Les blockchains privées reposent sur les mêmes principes informatiques que les blockchains publiques, mais ne sont pas ouvertes à n’importe qui. Il s’agit d’initiatives dont l’accès et les droits sont réservés à quelques VIP triés sur le volet. L’une des initiatives les plus connues est le consortium Hyperledger, mené par l’entreprise Digital Assets, et regroupant de nombreuses banques et SSII, notamment.

Pourquoi une telle hype autour d’une base de données?

Vu sa naissance sulfureuse, rien ne destinait Bitcoin et surtout les blockchains à faire saliver un jour les banques.

Cette frénésie est due à un habile changement de champs lexical: on ne parle plus de Bitcoin, pourtant seul exemple de blockchain fonctionnant aujourd’hui sans friction, mais des blockchains, de manière floue et désordonnée. Blythe Masters, ex-étoile montante de la banque d’affaires J.P. Morgan, est en grande partie à l’origine de cette évolution sémantique et mène la croisade d’une technologie qui visait pourtant à mettre au tapis les banques!

Pour celles-ci, et les grandes entreprises, les raisons de cette excitation tiennent en quelques mots plutôt austères: efficacité, rapidité, fiabilité afin de faire baisser les coûts.

Blockchain, nouvelle arme de destruction massive de coûts?

Pour les curieux et les membres de la communauté, cette technologie apporte beaucoup plus: Internet a décentralisé l’information et démocratisé son accès. Les blockchains peuvent aujourd’hui jouer le même rôle pour la confiance. Et un monde dont la confiance n’est plus monopolisée par les Etats et quelques grandes entreprises, est un monde rapprochant les individus, et démultipliant leurs échanges.

Cela étant dit, soyons réalistes: nul ne sait vraiment où peut nous mener cette technologie. Les cas d’usage sont encore rares, à peine testés, et l’on attribue beaucoup trop de mérites à cette technologie. Les blockchains ne pourront vraisemblablement pas résoudre tous les problèmes dans le monde, malgré l’enthousiasme qu’elles génèrent.

L’écosystème semble aujourd’hui se structurer peu à peu autour de cette dichotomie: une vision “SSII” pragmatique mettant en avant les gains que peuvent apporter les blockchains privées aux entreprises, et une vision “puriste “, valorisant le potentiel disrupteur des blockchains publiques et leur impact sur la société. Affaire à suivre!

L’essentiel en quelques points:

  • Le terme « blockchain » désigne un nouveau type de base de données améliorée fiable, transparente, sécurisée, distribuée.
  • Bitcoin est la première application de ce nouveau type de base de données.
  • Il ne faut donc pas parler d’une blockchain mais plutôt de blockchainS.
  • L’écosystème semble se structure autour de deux visions: SSII vs puriste.

Et en bonus…quelques anecdotes pour conclure en soirée:

  • On compte près de 700 crypto-monnaies aujourd’hui, pour des activités variées: hommage à des stars (feu Coinye West), achats discrets de contenus (Wankcoin), aide au développement en Afrique (Potatocoin) etc.
  • L’Etat s’est amusé à définir les blockchains: « un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification de ces opérations, dans des conditions, notamment de sécurité ». Facile à retenir.
  • La nouvelle gourou des blockchains, Blythe Masters, serait à l’origine des produits dérivés CDO (pensez “subprimes”) dont on connaît le destin…belle reconversion, vous dites?

Rendez-vous la semaine prochaine pour la description d’un premier cas d’application: l’assurance! D’ici là, n’hésitez pas me faire part de vos commentaires ou sujets que vous souhaiteriez voir décryptés.

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Thibaut Sahaghian

Blockchain explorer @multisHQ / Building the companies’ gateway to the crypto economy !